Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Journal d'une adolescente des annees soixante
22 juillet 2011

1-7 avril 1960

 

Vendredi, le 1 avril 1960

 

Tu as vu la date? Alors tu sais: «Poisson d’avril!» Je n’ai entendu que ça aujourd’hui. Dommage qu’à l’école nous ne pouvons pas faire de blagues. C’est aussi l’anniversaire de T. aujourd’hui, et je lui ai offert une grande bote avec beaucoup de papier et une toute petite boîte à l’intérieur avec une pomme de terre cuite. Elle m’a dit qu’elle l’avait mangée a midi avec beaucoup de sel, poivre et moutarde. Si c’est v rai!

Je n’ai pas beaucoup a te raconter. J’ai fait des blagues a la maison; j’ai cousu des manches de robes de nuit et de pyjamas, mis une lettre avec un poisson dans la boîte aux lettres, dévissé des lampes, épinglé des poissons d’avril sur les oreillers, fait un lit portefeuille, mis des cartons ou des atlas dans les oreillers, etc. etc.

Avec la fille de midi, j’ai fait la paix et tout est bien. Puisse la paix durer!

Julie

 

 

Samedi, le 2 avril 1960.

 

Un crime de plus sur ma liste! Tu sais qu’à l’école on ne pouvait pas faire de blagues hier. Evidemment, il fallait que je sois désobéissante et à midi j’ai mis du sel dans une carafe d eau. Ce midi, Mère J-M m’a appelée et m’a dit que ma désobéissance me coûterait un 5/10 en ‘comportement hors classe’. Quelle catastrophe! On dirait que cette sœur m’en veut pour quelque chose. Quand il s’agit de lire un texte ou de chanter pendant la messe, de découper ou coller quelque chose, on fait appel à moi, mais pour la moindre faute ou distraction on me donne 5/10. Un jour elle m’a donne 5/10 parce que j’avais oublié de faire signer mon journal de classe. Mademoiselle D. par contre nous donne toujours un délai quand on oublie ce genre de choses, et je trouve ça tout a fait normal.

Voici encore une raison pour laquelle je n’aime pas cette école. Je n’aime ni les bâtiments, ni les «Mères», ni les élèves, car elles sont toutes des filles de riches gâtées pourries, et en plus de cela malhonnêtes et fausses.

Justement aujourd’hui maman m’a demandé si j’aimais bien cette école, et je lui ai dit la vérité. Puis elle m’a demandé si j’aimerais retourner au pensionnat. Oh, si ça pouvait être vrai! Retourner au pensionnat m’apparaît comme un château en Espagne, tellement irréel. Et maintenant il serait possible d’y retourner! Oh Jésus, comment ai-je mérité ça? Je suis tellement contente quand j’y pense. Qu’est-ce que tu penses? Aurai-je la permission de retourner au pensionnat l’année prochaine?

Julie

 

 

Dimanche, le 3 avril 1960

 

Cher Journal, j’ai l’impression que tu entends toujours les mêmes plaintes de ma part. Mais je t’ai promis de t’écrire ce que je pense, et mes pensées sont dominées par cette seule phrase: « je suis si seule…» J’ai de nouveau ce grand désir d’aimer et d’être aimée, de pouvoir vider mon cœur.

J’ai été au cinéma avec mon frère aujourd’hui: «Le tombeau indien», très beau et passionnant.

J’ai dans mon cœur une haine contre ma sœur. Elle pense qu’elle est pieuse parce qu’elle va à la messe à l’école tous les jours. Quand elle a envie de jouer à quelque chose, je dois toujours jouer avec elle; quand elle a sommeil, je dois aussi avoir sommeil et aller dormir avec elle. Devant les parents, elle fait le petit ange, mais dès qu’ils ont le dos tourné… En un mot, elle devient insupportable.

-         Pas trop longtemps, hein! vient-elle de me dire, mais je n’ai pas envie de me coucher, je veux être seule!

Quand je suis seule, la présence de Jésus et de ma petite Maman du Ciel m’est plus claires, et à eux seuls je peux tout raconter. Je voudrais qu’ils puissent aussi me donner du courage, que je puisse entendre leur voix et voir leurs yeux. Car c’est ma raison de vivre, de pouvoir un jour voir les yeux de Jésus, mon grand Frère, d’échanger un regard avec lui. Je vois ma vie comme un chemin rempli d’étoiles et d’épines, mais au bout il y a une petite lumière qui devient de plus en plus grande, et c’est Jésus qui m’attend là les bras ouverts. Quand je serai au bout du chemin de ma vie, je pourrai enfin regarder dans ses yeux et poser ma tête fatiguée sur son épaule. Mais ce n’est pas tout. Les épines doivent se transformer en roses quand je serai passée, et je ne peux pas retourner en arrière. à où il reste des épines,elles seront là pour être une épine de plus dans la couronne de Jésus mon Amour. C’est pourquoi je dois faire de mon mieux. Je veux faire des sacrifices et je porte ma solitude avec beaucoup de patience, en aspirant arriver au bout du chemin douloureux ou trouver une rose sans épines sur mon chemin.

Y a-t-il une rose devant moi? Connaîtrai-je le bonheur avant la fin du chemin?

Julie>

 

 

Lundi, le 4 avril 1960

 

Quel cauchemar! Cette matinée était un vrai cauchemar! J’étais vraiment découragée par le sourire triomphant de Mère J-M. Mais je ne veux pas lui montrer qu’elle m’a brisée, sûrement pas à elle!Car j’ai encore ma fierté! Je ne pouvais plus rire ce matin, et pour une fois j’ai été très silencieuse en classe. Mademoiselle D. l’a remarqué, et elle m’a donné «la charge des cahiers», ce qui veut dire que tous les matins je dois ramasser les devoirs. En fait, je ne me rappelle pas grand-chose de cette matinée, c’était un vrai cauchemar! L’après-midi, je me suis forcée à être a nouveau gaie et j’y suis même arrivée.

Là tantôt, il y avait un camion de déménagement de la ville du pensionnat de l’autre côté de la rue, et j’ai senti un grand désir du pensionnat monter en moi. Mes parents se montrent très attentifs a moi:

-         Julie, tu as assez mangé?

-         Julie, tu ne veux pas une banane? Prends-en une pour demain.

-         Julie, commet ça allait en classe?

Cela me rend heureuse! Je me sens plus légère et moins pessimiste.

«Il y avait une rose devant moi sur mon chemin.»

Je suis heureuse et contente!

Julie

 

 

Mardi, le 5 avril 1960

 

Oh que j’ai peur!

Maman a fait le grand nettoyage en haut. Quand je suis rentrée ce n’était pas fini, et tous mes livres et cahiers étaient dispersés sur le lit. Et qu’est-ce que je vois? Tu étais au-dessus d’une pile, bien en vue. Tu crois que maman a lu? J’ai peur!

C’est l’anniversaire de mon frère aujourd’hui, il a déjà 17 ans!

J’ai beaucoup pensé au pensionnat, comment sera-ce quand je serai là l’année prochaine?

J’aime papa et maman un peu plus tous les jours, et Jésus, et Marie, ma petite Maman du Ciel! J’aime, oui, mais je veux aimer encore plus, car mon amour grandit tous les jours. Je ne parviens presque plus à le contenir dans mon cœur, il veut sortir!

Oh, chère Maman du Ciel, envoie moi quelqu’un à aimer et qui m’aime aussi!

Julie

 

 

Mercredi, le 6 avril 1960

 

Ce matin j’ai de nouveau rencontré les deux petits garçons que je rencontre presque tous les jours. Ce sont un petit garçon d’environ 8 ans, et son petit frère d’environ 5 ans. Souvent, l’aîné porte le petit sur son dos. Ce matin il y avait encore un garçon et une fille du même âge avec eux. Le garçon était en train de se moquer de l’autre, et en passant je l’ai entendu dire: «Attention! Il va fondre!» Il visait sûrement le petit que l’aîné tenait par la main. Le garçon avançait lentement, la tête baissée. Je voulais le consoler, et j’ai marché derrière eux. Dans un tournant qu’ils prennent normalement, le petit a montré l’autre garçon qui était parti en avant et a dit: «Ils vont par la!» Son grand frère a répondu: »Viens, on tourne».

Oh, j’avais tellement pitié du garçon qui se faisait insulter à cause de son petit frère qu’il devait protéger, mais il n’est pas égoïste et le supporte plutôt que d’abandonner son petit frère, cet être innocent et sans défense.

J’ai couru pour rattraper l’autre garçon, et j’ai marché derrière lui car j’avais envie de lui faire la leçon, mais je ne trouvais pas les mots. Il me semblait qu’il sortait d’un milieu plus riche que l’autre avec ses vêtements misérables, sa culotte courte et ses maigres jambes. J’ai y souvent pensé pendant la journée.

Si je le vois demain je lui donnerai la grosse orange que j’ai reçue ce soir. J’ai tellement pitié d’eux et j veux toujours leur donner quelque chose quand je les vois. J’ai souvent voulu, mais je ne l’ai pas encore fait. Je me réjouis de demain.

Il a fait très beau aujourd’hui et la soirée est chaude. Evidemment, ma sœur a fermé la fenêtre, et moi j’aime tellement dormir la fenêtre ouverte! Il faut toujours que sa volonte soit faite!

Julie

 

 

Jeudi, le 7 avril 1960.

 

Je n’ai pas revu le petit garçon ce matin.

Il a fait chaud jusqu'à 4 heures, puis il a commence a pleuvoir tout doucement. Moi, qui sortais de la messe, en le voyant j’ai imploré: «Pleurez, cieux, pleurez!» Alors la pluie est devenue une averse et ça m’a bien plu. Mais…Sans penser à rien, j’ai marché dans la pluie et j’étais complètement trempée. Ma jupe d’uniforme était toue mouillée et n’avait plus aucun pli. Ce n’est que juste avant d’arriver à la maison que je me suis abritée dans une embrasure de porte. Mais trop tard!

Quand je suis rentrée, maman m’attendait avec un visage malheureux. Elle avait espéré que je me serais abritée. Mon manteau est bon pour le nettoyage, et maman a lavé et repassé ma blouse, plus ma jupe! Demain après la classe je dois aller en ville m’acheter une jupe en Terlenka.

Je vais aller me coucher, car maman nous a envoyés au lit tôt parce que nous avions beaucoup de peine à nous réveiller ce matin.

Julie

Publicité
Publicité
Commentaires
H
Superbe de lire çà. C'est des archives ou tu as écrit tout çà?
Journal d'une adolescente des annees soixante
Publicité
Publicité